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La Presse
14-07-2025
- Entertainment
- La Presse
Arracher les ailes des mouches
J'ai rarement autant aimé détester un animateur que Thierry Ardisson. Et pourtant, tout en maugréant devant ses questions guidounement inquisitrices et son machisme dépassé, je demeurais scotché devant les moments uniques qu'il savait créer sur ses plateaux. Oui, on peut appeler ça du sadomasochisme de téléspectateur. Depuis l'annonce de sa mort, les médias français multiplient les superlatifs. J'ai lu quelque part « Sa Majesté du PAF » (paysage audiovisuel français). On respire un peu… Lisez l'article sur la mort de Thierry Ardisson Il est vrai que Thierry Ardisson a marqué son époque et a exploité la télévision de façon remarquable. Pour lui, une émission était d'abord un concept puissant. Le publicitaire qu'il a été en début de carrière l'a amené à créer une manière de faire qui n'appartenait qu'à lui et qui a ensuite fait école. Ardisson fut un intervieweur plus qu'un animateur. Durant toute sa carrière, il a mis à profit une technique qui reposait sur une seule chose : balancer des questions rédigées comme des slogans qui allaient faire mouche. Il m'épatait moins quand il faisait de longs résumés de la vie d'un invité qui ne faisait qu'acquiescer à ses affirmations. Celui qui a étendu la pratique des questions-cartons a aussi été un adepte des entrevues-concepts qui passaient par des thématiques : « Si tu étais une perversion ? » « Si tu étais un supplice ? » L'intérêt pour les téléspectateurs était de comparer les réponses d'un invité à celles des autres. Une entrevue, pour lui, devait comporter une bonne dose de provocation et d'audace ayant trempé dans l'acide. Pour réussir cela, il se faisait un devoir de ne pas cultiver de liens amicaux avec ses invités. « Un bon intervieweur, c'est quelqu'un qui, quand il était petit, aimait bien arracher les ailes des mouches », a-t-il déclaré au journal 20 Minutes en 2019. Ardisson a dû décapiter beaucoup de mouches, car ses questions impudiques étaient parfois à la limite du supportable. Combien de fois ai-je éprouvé un malaise à la vue d'un invité d'Ardisson visiblement ciblé pour être le con du dîner ? Il se défendait en parlant de simple provocation. C'est facile. Où s'arrête le désir de provoquer et où commence la méchanceté au service du divertissement ? D'ailleurs, je n'ai jamais compris comment il faisait pour choisir ses victimes. Il pouvait s'en prendre à quelqu'un de vulnérable ou à un faux-cul. Comme il pouvait être protecteur à l'égard de quelqu'un de fragile ou d'un pourri qui tente de s'offrir une rédemption. Il n'y avait pas de règle. L'autre ingrédient indispensable de sa recette a été le mélange des genres qu'il créait parmi ses invités. Une vedette qui tente de revenir à l'avant-scène grâce à une autobiographie, un politicien émergeant d'un scandale et une jeune starlette du porno pouvaient partager le même plateau. Il avait compris que ce melting-pot faisait tomber les barrières et contribuait à faire jaillir une forme de vérité. Ardisson était l'anti-Pivot. Tout opposait les deux hommes. Mais on a eu besoin des émissions littéraires du second autant que des concepts distrayants du premier. Quand Bernard Pivot présentait ses émissions devant des étagères de livres avec des auteurs intellectuels, Ardisson faisait les siennes au Palace ou aux Bains-Douches avec des invités qui avaient ingurgité une bouteille de champagne et sniffé quelques lignes de coke avant de s'installer devant les micros. Deux générations, deux approches, deux résultats, mais un éventail dont on a besoin. Thierry Ardisson a connu une prodigieuse carrière, car il a procuré à la télévision ce qu'il lui fallait, et au bon moment. Mais cet état de grâce n'est pas éternel. Cet homme d'une grande intelligence le savait trop bien. Déjà, en 2017, lors d'une entrevue avec le youtubeur Squeezie, extrêmement populaire en France, il sentait que le monde de l'audiovisuel était en train de lui tirer le tapis sous les pieds. Visionnez le passage de Squeezie sur le plateau de Thierry Ardisson Sa réaction fut de ridiculiser son jeune invité. « Vous êtes un génie, car votre boulot consiste à vous filmer en train de jouer à des jeux vidéo et à le diffuser. » Ardisson avait compris que la terrible descente vers la vacuité et le divertissant qui frappe nos sociétés était irrémédiable et qu'elle ne ferait que s'accentuer. Celui qui se disait encore récemment monarchiste et croyant s'est alors mis à interviewer des morts grâce à son émission Hôtel du temps. Voilà qui dit tout. Ce qui m'attriste le plus avec ce départ, c'est que la liberté dont a joui Thierry Ardisson, même si elle faisait mal, même si elle créait des malaises, ne sera jamais plus possible à la télévision. C'est bête à dire, mais il y a une part de lui qui va me manquer. Peut-être le bout où j'aimais le détester.

Le Soir
14-07-2025
- Entertainment
- Le Soir
L'homme en noir a déposé sa veste
Générique de fin. Thierry Ardisson n'est plus. « Magnéto Serge » ne sera plus jamais lancé. L'homme aux multiples casquettes est mort à 76 ans des suites d'un cancer. Un précurseur qui laisse derrière lui une empreinte indélébile dans le paysage audiovisuel français. Provocateur élégant, passeur de talents, redoutable intervieweur, il a incarné une certaine idée de la télévision : impertinente, cultivée, noctambule. Il cassait les codes Thierry Ardisson n'était pas un animateur comme les autres. De son look monochrome – veste noire sur tee-shirt noir – à sa voix grave et traînante, en passant par ses punchlines taillées au scalpel, il avait imposé une signature visuelle et sonore. Une esthétique, au sens entier du terme. Homme de télévision, certes, mais aussi esthète de la formule, artisan du montage et metteur en scène de la parole. Il a réconcilié le fond et la forme dans un PAF souvent paresseux, bousculant les formats, les invités et les habitudes.